Les tramps
Ce matin, en sortant Chromozome, dans le petit sentier qui longe les voies ferrées, j’ai rencontré des tramps.
Mais si, vous savez, ces héros fatigués de Jack London, ce peuple de l’abîme...
Deux jeunes, dans une vieille Renault, avec un chien ; quelques misérables effets en vrac ; sales, hirsutes, désabusés ; vingt ans, et quelques...
M’ont tapé une clope. On a causé...
Ils sont échoués là comme après une tempête. Sans volonté aucune d’être sur cette grève. Ils sont arrivés ici comme ailleurs, pour ne plus être où ils étaient. Cherchent un toît. Du boulot pour le payer. N’importe quoi : c’est tout ce qu’ils savent faire.
Ils ne sont même plus rebelles. Ils arborent l’épingle de nourrice, le piercing, le dressing-code de la déshérence...
Ils ne sont même plus vivants : la vie s’use sur eux, ils s’usent sous la vie comme un calcaire poreux.
Ils n’ont rien hérité qui ne soit vide, friable, incertain. Nous n’avions plus rien à leur donner que des doutes, des peurs, des lassitudes...
Ils sont les hoirs d’un futur qui n’a pas eu lieu.
J’ai retrouvé avec ces jeunes la fresque de London, ou de Steinbeck.
La grande dépression s’annonce. Ils sont des milliers sur les routes, vivant dans leur voiture. Mais, sous leur apparente résignation, le dressage moral des années 30 n’existe pas : ils sauront, un jour, retourner le fusil contre le banquier, le nanti, le politique, l’autorité...
Cette possibilité de rébellion extrême est notre chance.
Comme toujours, les jeunes sont notre avenir.