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campusliber
15 novembre 2007

Le train

14931804_pIls ont laissé la cohue des estivants s’écouler du train encore frémissant, à peine arrêté que déjà ceux qui attendaient en queue dans le couloir comme si ça les faisait arriver plus vite plantaient leur talon victorieux dans l’asphalte amolli du quai, se demandant avec anxiété ce dont ils allaient faire du temps ainsi prétendument gagné.
Ils ont laissé s’extirper les familles en puissance d’une marmaille renfrognée pour les aînés et caquetante pour les puînés, des compartiments aux remugles de sueur et d’odeurs de cochonnailles, dans le vacarme des valises arrachées aux filets en éborgnant le cadre d’aluminium enchâssant une photo jaunie des falaises d’Etretat, don du Comité du Tourisme, la SNCF vous y conduit.
Ils ont laissé se tarir le flot des recommandations domestiques s’entremêlant à celui des retrouvailles exclamatives qui ne l’étaient pas moins.
Le train d’abord, le quai ensuite, se sont vidés comme un intestin abandonne le bran qui l’encombre.
Le soulagement était général, même les bâtiments semblaient souffler, et la verrière, là-haut, murmurait sous un zéphyr d’apaisement.
Dans le compartiment 23, on se leva, on lissa machinalement un pli de pantalon, on vérifia machinalement le bouffant d’une mèche, et l’on se regarda, heureux encore, étonné encore, de voir l’autre.
Une main manucurée saisit un réticule, une main épaisse crocha l’anse d’un sac immense : le compartiment 23 était vide.

Un pied hésitant affronta chaque marche du wagon, reconnaissant d’un tapotement la traîtrise des surfaces planes et les rassurantes aspérités de la tôle larmée. Le pied bientôt rencontra le sol, et l’être qui le gouvernait fut saisi d’un frémissement : gagné !
Il empoigna le sac de voyage qui reposait comme une menace – il savait laquelle !- et l’accompagna jusqu’au sol dans une parabole dont le point remarquable connut sa définition à portée de main.
Un autre pied, chaussé celui-là d’élégantes sandales, apparut au nez de la marche supérieure. L’homme haussa le bras, et proposa sa main en pommeau à l’autre main qui s’y reposa aussitôt en un geste tendre de possession et de confiance. L’on sentait que cette femme transformait en caresse prometteuse le moindre appui qu’elle requérait, rendant ainsi léger et précieux à ses étais le poids de l’aide à peine sollicitée. Elle ne s’abandonnait pas, elle se retenait en légèreté, quoi que cet effort lui coûtât. Elle lui faisait ainsi des promesses muettes, il les accueillait avec reconnaissance, et les lui retournait en désir d’elle.

Ils marchaient enfin sur le quai, elle libre et lui dans son sillage.
Elle pouvait avoir quatre-vingts ans, lui sans doute un lustre de moins.
Le regard indifférent des chalands voyait un couple âgé.

Mais lui, regardant sa silhouette toujours élancée, oubliait le poids du sac dont la bandoulière lui sciait l’épaule. Il se sentait investi d’une sève neuve, la fulgurance de ses vieilles douleurs s’étouffait dans l’airain de  l’amour qui le submergeait, du désir qui le hantait.
Il suivait une jeune fille.
Elle, sous ce regard qu’elle devinait, qui l’enveloppait comme une caresse, qu’elle sentait au creux de sa nuque, ce regard qu’elle connaissait et dont elle ne se rassasiait pas, redressait les épaules et, sous la taille encore prise, retrouvait un balancement aguicheur des hanches, une langueur de la démarche, révélant une féminité splendide qui ne l’avait pas quittée, qui ne la quitterait jamais.
De temps en temps, elle se retournait vers lui, l’œil rieur et sa grande mèche en bataille au-dessus du front, d’un air de dire : mais venez-vous, enfin ?
Et il lui répondait muettement, dans un jeu qui remontait aux prémices de leur amour : courez jusqu’à l’arbre, et revenez !
Elle avait toujours eu de longues jambes.

Ils étaient amants depuis plus de trente ans.

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Commentaires
P
Bonjour je travail a la sncf et je voudrais savoir si il ya pas un site qui vend des piece pour fabriquer un TGV parce-que il nous faut des stock^^ <br /> <br /> excuser mn orthographe^^
F
Très évocateur et d'une grande pureté.De l'élégance.On s'y croirait.
campusliber
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