Rhââââ pûûûûûtain des rollmops ! C'est un truc d'homme, ça !
J'ai découvert ce mets particulier au Danemark. C'était l"hiver.
D'ailleurs, c'est toujours l'hiver, là-bas. Faisait froid, donc.
Par-delà les grandes baies de l'hôtel,encadrés de bois brut, sur la
neige blanche infiniment, il ne se passait rien. Mais alors rien de
rien.
Je descendis l'escalier de bois brut pour rejoindre la salle à
manger où une théorie d'autochtones engloutissait un copieux
petit-déjeûner, en fredonnant cette vieille scie d'Enrico Macias "...
les gens du Nord, ont dedans le chauffage qu'ils n'ont pas dehors..."
A peine étais-je assis à la table de bois brut que mon voisin me
flanquait une grande claque dans le dos, en me disant des trucs où
figuraient un certain nombre de "o" barrés. Je n'eus pas même le temps
de lui répondre que je n'entendais rien aux langues forestières (en
bois brut) que devant moi l'on posait un saladier empli de curieux
rouleaux gris-bleuté baignant dans la saumure. Je me demandai avec
effarement si ce peuple trempait là-dedans ses croissants.
Je regardais autour de moi avec curiosité. Autour de la table, des
mâles, uniquement. Et sur la table, rien qui ressemblât à du café, du
pain, de la confiture... Mes commensaux parlaient fort, s'esclaffaient,
sans interrompre un ballet bien réglé : chacun puisait devant lui, dans
un saladier, un de ces rouleaux ; il en trempait l'extrémité dans un bol de crème aigre disposé au milieu de la table ; d'un coup de
glotte puissant, le poisson était alors avalé ; puis, d'une main sûre,
chacun emplissait son petit verre d'un breuvage (j'appris plus tard
qu'il s'agissait d'un distillat local, l'aquavit, certainement à base
de bois brut aussi !) et se le téléphonait aussi sec. A peine séchées
les larmes qui lui montaient au visage après l'opération, chacun
derechef puisait un nouveau rouleau de poisson, ad libitum...
Habitué des nourritures bizarres (j'ai beaucoup voyagé, mais
surtout j'ai été pensionnaire au petit séminaire de Meaux, puis détenu
à la Santé), je décidai d'essayer.
Bon, la première bouchée peut surprendre. Mais l'aquavit fait
passer beaucoup de choses. D'ailleurs, on devrait commencer prar
l'aquavit, AVANT le poisson... Cela dit, l'aquavit, au p'tit dèj', sur
le coup de 8 h du mat', faut une certaine santé...
J'eus, je l'avoue, du mal à ne pas restituer sur le plancher de
bois brut cette première bouchée. Je n'eus pas le temps : aimablement,
mon voisin me tendait déjà un nouveau rouleau, en ôtait délicatement la
petite pique en bois (brut) qui le transperçait (ah, c'est donc ça :
j'avais bien trouvé que c'était un peu dur !), et remplissait mon
verre.
Je dois dire qu'au bout de quelques verres, je me laissai volontiers gagner par une légère euphorie...
Quand la table fut vide de toute ressource halieutique, tout le monde se leva et entreprit de se déshabiller.
"Tiens, me dis-je, les douches sont donc collectives, ici ?!?".
Mon voisin me pressait de me déshabiller aussi. Bon. Soit.
Je pris ma place dans la file, qui s'ébranla pour gagner... LA PORTE (en bois brut) QUI DONNAIT DEHORS !!!
Il m'était impossible de m'échapper. Partout autour de moi l'on se
pressait, et l'élan m'emporta dans la neige blanche infiniment...
Curieusement, je n'avais pas froid. L'aquavit, sans doute... Je vis beaucoup avaient d'ailleurs emporté leur bouteille.
Et tout ce monde nu se roulait dans la neige en s'esclaffant. Sur
la rivière gelée, à grands coups de hache, un petit groupe cassait la
glace : bientôt les baigneurs s'ébrouaient...
Je demeurais figé et interdit, si bien qu'au bout d'un moment ma
peau se nuançait de jolies teintes de bleu... Voyant cela, deux
impétueux gaillards me soulevèrent et m'entraînèrent vers une manière
de petite cabane en bois brut, sans même un fenestron.
"Oh non, me dis-je, du poisson au p'tit dèj', passe encore, mais pas une sodomie !".
Mais tel n'était pas le desseins de mes ravisseurs. Je fus jeté
dans cette cabane, et me retrouvai dans la vapeur, au milieu de gens
nus suant à grosses gouttes l'aquavit précédemment ingurgité : j'étais
dans un sauna.
A peine la chaleur se répandait-elle dans mon corps, générant un
délicieux engourdissement, qu'un sauvage ouvrait la porte, et que tout
le monde se précipitait dehors. Derechef on me siasit et on m'entraîna.
Mes camarades de jeu se roulaient dans la neige, s'en frictionnaient,
mais je n'eus pas le temps de m'étonner du procédé que je ressentis une
brûlure dans le dos : un joyeux ahuri me fustigeait à l'aide d'un petit
fagot de bois brut !
Bien qu'ayant constaté alentour que ce jeu faisait partie des
activités indigènes, je lui arrachai son fagot en poussant de hauts
cris, et m'enfuis vers le hâvre de l'hôtel.
J'avais compris pourquoi le drapeau de ce pays était à l'exact inverse de celui dessiné par Henri Dunant.
Il m'arrive quelquefois de manger des rollmops. Ainsi parfois nous,
les hommes, aimons susciter la remembrance, fût-ce au prix d'une légère
amertume... La crème aigre, sûrement...
26 février 2008