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campusliber
2 avril 2010

Plaisirs solitaires 2

La fraise est un fruit très particulier : elle est exhibitionniste, et dénuée de tout sentiment maternel.
Il n'échappera à personne que, de plus, elle est rouge.
J'aime à la déshabiller, quoique je sois un peu déçu par la fraise moderne : quand j'étais jeune - c'era una volta...- il suffisait de tirer sa queue verte pour que s'échappe à sa suite, sous la corolle des petites feuilles, un cœur oblong et pâle, qui laissait un vide propice à l'accueil de la crème fraîche onctueuse, grasse, jaune, apéritive...
La fraise d'aujourd'hui s'étiole dans de suspectes barquettes bardées d'étiquettes vantant de faux mérites. Elle n'a plus de cœur. On n'attend plus guère qu'elle soit mûre pour la cueillir, et son fard est artificiel.
La plus goûteuse - la moins fade, dirons-nous - reste la fraise ibère. Nous n'aurons que mépris pour l'infâme Gariguette, ou la suspecte Mara des bois.
Mais il reste malgré tout une grande joie : son éventration. Un couteau d'office convenablement aiguisé entame facilement la chair tendre, mais sitôt passé l'épiderme , la chair oppose une résistance qui fait chanter le couteau. Et bientôt tombent en pluie dans le saladier opportun les tranches ou les quartiers dont les nuances colorées de la nacre au carmin ne sont pas sans évoquer les couleurs intimes de la femme.
La bouteille de Bordeaux vieux, débouchée depuis une couple d'heures, s'aère lentement. Un nuage de sucre nappe bientôt les fruits écartelés. le vin enfin les noie, un tour de moulin à poivre, un soupçon de canelle, ou de muscade, les zestes de quelque citron, et voilà le dessert prêt; Le saladier couvert d'un torchon gagnera les flancs du réfrigérateur, attendant son heure...

Le plus intéressant, dans la salade de fraises, c'est sa fin.
Ce fruit porte en effet ses graines à l'extérieur, assurant ainsi à ses descendants une liberté précoce, que le vin exacerbe (comme de bien entendu, c'est pour cela qu'on l'interdit aux prisonniers, qu'on le mesure aux prêtres, qu'on le déconseille à l'ouvrier.).
Ainsi, dans le fond du saladiers, comme ivres, les rejetons voguent, loin de leurs mères englouties qui n'ont rien fait pour les retenir. Petits grains noirs battus aux flots vineux, ils ont l'air à la fois occupés et désorientés.
Je me demande toujours où ils pensent aller.
Et je me dis toujours que nous sommes comme eux.
Si nous étions plus nombreux à penser que nous partageons le destin des fils des fraises, sans doute le monde serait-il plus sucré...

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